Tata Amal

 

Je suis tout excitée. Papa est sorti précipitamment de la maison ce matin. Najwa, ma grande soeur, va accoucher d'une minute à l'autre. Le téléphone a sonné vers 8h15. C'est moi qui ai répondu. Je suis grande maintenant, j'ai eu 9 ans la semaine dernière. Abbas, son mari, m'a demandé de réveiller Papa, car lui n'a pas de voiture. L'hôpital est loin, à environ 10 km de Gaza. Aussitôt dit, aussitôt crié :

" Papaaaaaaa, réveille-toi, Najwa va accoucher. "

Je suis tout excitée. Vivement que le téléphone sonne. Najwa n'a pas voulu savoir si elle allait avoir une fille ou un garçon. Moi, j'aimerais bien un petit neveu, mais une nièce ca ne me dérangerait pas. Au contraire. J'ai hâte de l'avoir dans mes bras. Ca fait neuf mois que je l'attends. Tous les mercredis, j'allais chez ma soeur préparer la chambre du bébé. C'est moi qui ai choisi la tapisserie. Abbas m'a dit :

" Amal, je te nomme décoratrice en chef. "

Je n'ai pas bien compris ce que ça voulait dire. Lui, il venait de temps en temps nous donner un coup de main. C'est lui qui m'a offert les jolis feutres avec lesquels j'ai fait tout plein de dessins pour mon futur neveu, ou ma future nièce bien sûr. Je les ai tous signé : Tata Amal.

Je suis tout excitée. Faut vite que je m'habille et que je demande l'autorisation à Maman d'aller chez Najwa. Je veux vérifier que la chambre du bébé est vraiment prête. Je ne dois pas oublier de prendre mes peluches. J'ai choisi les plus belles. Elles ne sont pas toutes neuves, mais ce sont mes préférées. Je vais les offrir à Najwa et à son bébé, en plus du poème que je leur ai écrit. Abbas m'a promis qu'il l'encadrerait et le mettrait au dessus du lit de son enfant. Comme ça, quand je serai une mamie avec les cheveux tout gris, le bébé qui aura bien grandi me prendra dans ses bras et me dira :

" Regarde Tata Amal, j'ai toujours le poème que tu as écrit pour ma naissance. Il ne m'a jamais quitté. "

Je suis tout excitée. Vite, vite téléphone sonne... Il paraît que quand on devient Tata, on grandit plus vite. C'est Nadia, ma meilleure amie, qui me l'a dit. Je ne la crois pas trop. Elle dit souvent des bêtises. Et puis, elle n'a même pas de neveux, ni de nièces. Moi, d'abord, je ne serai jamais sévère. La colère ça donne des rides. Je veux rester belle et joyeuse comme ma grande soeur Najwa.

Je suis tout excitée...

Le téléphone sonne : Amal ne reverra plus jamais Najwa.

" (...) une Palestinienne de 18 ans est morte des suites d'une fausse couche après avoir été retenue à des barrages militaires israéliens à Kalkiliya, dans l'ouest de la Cisjordanie. (...) " Le Monde, 9 Mars 2002

En Israël, on meurt de n'avoir eu le droit d'accoucher.